En 1975, la France a inscrit dans le marbre du Code de l’environnement l’interdiction de ramasser des galets sur certaines plages. Cette règle, souvent méconnue, vise à freiner la dégradation des milieux côtiers, mais son application reste largement théorique. Partout, petits tas de pierres apparaissent, même dans les zones protégées, comme si la nature pouvait absorber sans broncher ces marques de passage apparemment inoffensives.
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Empiler des galets : une pratique en apparence anodine
Sur les chemins de randonnée, au fil des plages ou dans la fraîcheur des gorges, impossible de passer à côté du phénomène : les cairns. Ces piles de galets, montées avec soin par des promeneurs, se sont installées dans le paysage. Il suffit d’un instant d’inspiration ou d’une photo vue sur Instagram, et le geste se répète, imitant ce que l’on croit être un hommage discret à la nature. Pourtant, derrière l’allure paisible de ces petits édifices, la réalité se révèle bien moins anodine.
Ce succès s’explique par un besoin de laisser une trace, d’affirmer une présence, là où seuls le vent et la mer devraient façonner le décor. Les cairns, autrefois repères pour les voyageurs sur des sentiers perdus, sont devenus des objets d’ornement ou de méditation, détournés de leur usage initial. Leur prolifération dans des lieux comme le parc national des Calanques transforme en silence la physionomie des rivages.
Voici les conséquences concrètes de cette mode :
- Des galets déplacés sur les plages et les berges, privant la nature de son matériau d’origine
- Un substrat minéral aff appauvri, qui prive les plantes et les animaux de ressources vitales
- Une microtopographie bouleversée, avec des répercussions sur l’écoulement de l’eau et la stabilité des sols
Pourquoi ce geste séduit-il tant ? Parce qu’il paraît sans conséquences, presque poétique. La réalité est tout autre. En détournant les galets de leur rôle naturel, cette habitude touche des sites sensibles, du littoral aux sentiers de montagne. La question n’est plus de savoir si l’esthétique justifie le geste, mais jusqu’où nous sommes prêts à sacrifier l’équilibre d’un écosystème au nom d’une photo ou d’un souvenir.
Quels sont les véritables impacts sur la biodiversité locale ?
Derrière l’apparente légèreté de l’empilement, c’est tout un équilibre qui bascule. Lorsque l’on prélève un galet, on retire bien plus qu’une simple pierre : c’est un abri pour des insectes, des mollusques, des micro-organismes, parfois des graines qui patientent à l’abri pour germer. Ce petit monde invisible forme le socle de la fertilité et du maintien de l’humidité, deux atouts indispensables à la survie de la faune et de la flore locales.
Dans le parc national des Calanques, par exemple, la disparition progressive des galets met en péril la sabline de Provence, une plante rare dont la survie dépend de la stabilité de ces cailloux. En les déplaçant, on expose également des espèces animales qui n’ont nulle part où fuir : cloportes, scorpions à pattes jaunes, tarentes de Maurétanie. Leur refuge s’effondre, les condamnant à une disparition silencieuse.
Les rivières et les berges ne sont pas épargnées. Là aussi, le retrait de galets modifie la circulation de l’eau, accélère l’érosion et perturbe la reproduction de poissons et d’amphibiens, pour qui chaque pierre compte. Au fil des saisons, la pression sur la biodiversité s’intensifie, menaçant l’équilibre de tout un milieu.
Les principaux dégâts observés sont les suivants :
- Réduction des micro-habitats et raréfaction des ressources pour la petite faune
- Disparition progressive de plantes protégées
- Bouleversement du cycle de vie des invertébrés et petits vertébrés
La multiplication des cairns n’est pas qu’un détail esthétique. C’est un accélérateur de dégradation, qui affaiblit des milieux naturels déjà fragiles. Plus la pratique se banalise, plus la régénération s’avère difficile, que ce soit sur le littoral, en montagne ou dans les vallées encaissées.
La faune et la flore menacées par la disparition de leur habitat naturel
Dans les criques, sur les rivages ou au creux des gorges, chaque galet enlevé laisse un vide. Ces pierres protègent une multitude d’êtres vivants dont l’existence ne tient parfois qu’à ce fragile abri. Cloportes, scorpions à pattes jaunes ou tarente de Maurétanie, mais aussi sabline de Provence, dépendent de cette couverture minérale pour survivre aux assauts du soleil ou des prédateurs.
En prélevant ces galets pour construire des cairns, on bouleverse l’ordre établi. La faune, discrète, se retrouve soudain exposée. Les œufs abrités ne résistent ni à la chaleur, ni à la déshydratation. Quant aux racines des plantes pionnières, elles perdent l’ancrage qui leur permettait de prospérer.
Voici les conséquences concrètes de cette disparition :
- Recul progressif d’espèces menacées, comme la sabline de Provence
- Bouleversement du microclimat nécessaire à la germination des plantes du littoral
- Affaiblissement du refuge naturel pour les invertébrés et les petits reptiles
Préserver ces milieux exige de revoir notre rapport à la nature. Déplacer un galet, aussi insignifiant que cela puisse paraître, peut condamner plusieurs espèces, certaines étant déjà en voie de disparition. Les gestionnaires du parc national des Calanques, confrontés à ces réalités, insistent : l’habitat naturel n’est pas un décor, c’est la base de la diversité de la vie sur le territoire.
Préserver l’équilibre des écosystèmes : des gestes simples pour protéger la nature
Partout, des plages de la presqu’île de Crozon aux calanques, jusqu’aux criques de Saint-Denis d’Oléron, la tentation de construire un cairn est grande. Pourtant, la loi est claire : il est interdit de ramasser, déplacer ou empiler galets, sable ou coquillages. Les contrevenants s’exposent à une amende pouvant grimper à 1 500 euros, preuve que le geste n’est pas anodin aux yeux de la réglementation.
Protéger les écosystèmes vulnérables repose avant tout sur la prise de conscience individuelle. Les responsables du parc national des Calanques rappellent que chaque galet bougé, même pour un monument éphémère, affaiblit l’habitat naturel. Mieux vaut observer, photographier, mais toujours laisser pierres et coquillages à leur place, pour ne pas bousculer l’équilibre fragile du milieu.
Quelques réflexes simples permettent de limiter notre impact :
- Se conformer aux panneaux et recommandations des équipes locales
- S’engager dans des actions de sensibilisation auprès d’associations naturalistes
- Relayer les bons gestes sur les réseaux sociaux, plutôt que d’encourager la multiplication des cairns
Sur le rivage, au bord d’une rivière ou au détour d’un sentier, résister à l’appel du galet, c’est choisir de préserver la beauté vivante du paysage. Décider de ne pas toucher, c’est prolonger la vie qui palpite sous chaque pierre. Un geste discret, mais lourd de conséquences pour l’avenir de nos espaces naturels.